Installation photographique,
Résidence photographique, été 2016.
Série photographique 60 x 60 cm,
Tirage argentique.
Édition 5 exemplaires numérotés.

2016

Exposition Les Vagues

Telle une mise en image de la promesse, exprimée par Jean Cocteau, « La mer est le meilleur des dessous »1, les photographies prises par Hélène Benzacar, en résidence à la galerie Hazy, semblent conduire le spectateur vers les abysses de la conscience. A l’horizon de laquelle se dégage les souvenirs d’une enfance en bord de mer.

Libre adaptation du livre Les vagues de Virginia Woolf, l’exposition, en reprend certaines qualités principielles. La scénographie organise différents espaces, ponctuée d’images, photographies et films, et de respirations. Au gré de son déplacement dans la galerie, le spectateur découvre des portraits, dont la composition prend corps dans l’espace, renouant avec la structure narrative spiralaire de l’auteure anglaise. Cette construction rhizomatique de l’exposition entre en résonance avec la constellation des mots du livre de Woolf, qui par la multiplicité des points de vue des personnages sur le réel, éclate la linéarité du récit pour construire un poème-jeu innovant.

Loin de proposer une cacophonie inaudible, les photographies d’Hélène Benzacar, capturent des morceaux de vie et composent, par sédimentation, une métaphysique2 de la solitude, de l’ « isolement humain3 ». On retrouve dans ces photographies, l’esthétique épurée propre au travail de l’artiste, d’où émerge une kyrielle d’allusions poétiques.

Dénués d’effets de mise en scène et nimbés d’une lumière estivale, ces portraits rappellent la série des adolescents4 photographiés par Rineke Dijkstra. Des « personnages comme des mouettes au bord d’un Temps-Océan »5 disait Marguerite Yourcenar, dans la préface de l’ouvrage les vagues, qu’elle traduit. Tous affairés à l’observation minutieuse de la nature, les six personnes photographiées au cœur des marais salants, à Roffiat, et au bord de l’océan, exhalent une sérénité songeuse, qu’accentue le naturel de leur pose.

Ses individus, deux enfants, un jeune couple, un jeune homme et une femme, chacun habité par leur intériorité, semblent saisis dans un soliloque, qui se déploie dans une sorte de polyphonie visuelle sur les murs de la galerie.

Métaphore d’une vie à l’échelle réduite d’une journée, le récit de Woolf a également inspiré le dispositif scénographique de l’artiste plasticienne. Dans une sorte de mise en récit spatio-temporel, la galerie devient le lieu éphémère où se tisse un espace textuel, où se noue la réversibilité de la littérature et de l’art visuel. Au fil de sa lecture des œuvres, une certaine nostalgie déferle sur le spectateur, soudain happé par la survivance de cet état vital, à la fois intime et solaire, propre à l’enfance. Loin d’un retour sclérosant vers le passé, cette résurgence émotionnelle devient le terreau d’un devenir en germination. Ces corps, semblent alors déjouer la fixité intrinsèque de l’image photographique pour devenir l’incarnation d’un regard à la fois réflexif et actif, ancré dans le monde actuel. L’artiste parvient ainsi, par de subtiles mises en scène à rendre compte de plusieurs polarités : entre le passé et l’avenir, entre l’inertie et le mouvement, entre une image construite et une réalité inscrite devant l’objectif.

Comme au rythme des vagues, les œuvres photographiques collectent une multiplicité d’instants de vie pour s’échouer sur les rivages de la conscience du regardeur. A l’orée de la mémoire, les images affleurent, entre présent et passé, composant un ensemble en flottaison sur les murs immaculés de la galerie. Tels des moments de respirations dans l’espace, ces entités en suspension apportent une sorte de ductilité temporelle.

Plus loin, dans l’exposition, la réactivation de l’histoire personnelle de l’artiste se cristallise dans un film, monté à partir d’images d’archives, datant des années soixante, prises sur les plages de Pornic. A l’instar de la mer, cette étendue liquide, tantôt transparente, tantôt opaque, cette vidéo relie les cristaux mnésiques des personnages pour déflorer l’existence d’un disparu.

Dans le livre de Woolf la figure de l’absent se révèle à l’aune des échanges entre les personnages. Ici l’artiste-photographe dépeint le portrait en creux d’un septième personnage, immergé dans les méandres de l’enfance, qui apparaît comme un fantôme.

La complexité des impressions humaines inonde les personnages jusqu’à diffracter la perception de leurs contours identitaires. L’absence envahit l’espace. La salinité de l’eau de mer semble alors retenir les souvenirs de leur enfouissement, par analogie à la photographie argentique dont les sels d’argent s’agrègent en particules temporelles. Le spectateur, renvoyé à sa propre solitude fait l’expérience pure et sensible de la cristallisation et de la conservation des souvenirs. Le sel, participe à la corrosion de la matière vivante, en même temps qu’il fixe le volatil, la fluence du présent dans l’émulsion photographique.

Comment éprouver la durée, face à la promesse d’éternité que suscite l’océan ?

Aspirée par les mouvements féconds des vagues écumantes, la pensée se dilue, s’éloigne au détriment de toute structure temporelle, au point de dissoudre ses frontières.

L’intemporalité propre à la mer, modifie le rapport que nous entretenons avec notre corps, nous libérant des contraintes spatiales et temporelles, si pesantes dans l’espace social. Sa vitalité intrinsèque et son indépendance fascine l’homme depuis longtemps, le submerge et le ramène, de manière insoluble, dans un rapport individuel au monde. Aux confins de l’isolement et de l’immersion, le spectateur élabore à son tour sa propre chronologie d’événements, dans un cheminement poétique.

Chloé Orveau

L’exposition Rives sauvages présentée au lycée Grand Air de la Baule, à partir d’une sélection d’œuvres de la collection du Frac des Pays de la Loire, est réalisée en écho au projet départemental porté par les conseillers pédagogiques en arts visuels intitulé « Tous au bord de la mer » et en collaboration avec Hélène Benzacar, artiste photographe, en résidence à la galerie Hazy.

  1. Le secret professionnel, Jean Cocteau, Stock en 1922. Il y affirme plus loin, « vivre seul, surtout au bord de la mer, c’est rendre à l’esprit quelque chose de primitif, d’enfantin. »
  2. Métaphysique d’un bord de mer, Pierre Cassou-Nogues, Paris, Editions du Cerf, 2016
  3. Les vagues, Virginia Woolf, traduction et préface de Marguerite Yourcenar, Paris, Stock, 1937
  4. Photographie de Rineke Djikstra, entre 1992 et 2002, sur les plages de Caroline du sud, de Pologne et d’Ukraine,
  5. Ibid .