Les invisibles
Le musée Joseph Denais possède une réserve d’objets invisibles soustraits au regard. Dans cet espace confidentiel j’ai été conviée à découvrir les collections textiles avant qu’elles ne soient restaurées, vêtements d’hommes et de femmes saisis dans leurs boîtes, des corps aujourd’hui absents, dont la mémoire est toujours active : coutures déchirées ou arrachées, marques de transpiration ou d’usure, empreintes ou altérations par l’exposition à la lumière. Les vêtements portés livrent une part de l’intimité des disparus.
Ces clichés exposés sur une table lumineuse à la portée des visiteurs proposent une approche tactile et sensible de ces vêtements.
Deux autres séries dialoguent dans l’exposition. Six photographies de vêtements de la collection, mis en scène dans l’espace clos du musée et cinq d’un autre corps, exposé sous la lumière naturelle d’un sous-bois, photographies d’un costume d’apiculteur, habit de travail qui fait un pont avec les costumes historiques du musée d’art et traditions populaires où le rapport à l’usage et au travail sont très présents. Les caissons lumineux les éclairent d’une lumière rétro projetée telles des percées du mur sur l’extérieur.
Des abeilles piquées sur les vêtements à la limite de l’invisibilité se retrouvent, photographiées d’une image à l’autre, signe de ceux qui ont disparu ou de ceux dont on craint l’extinction.
Une seule photographie tirée de la série précédente Auschwitz 3, 2019, résonne avec les portraits d’adolescents réalisés au cours de différents voyages en Pologne et font écho à ceux du musée.
Fixée sur une table en bois semblable à celle d’un atelier de couture, une veste d’homme, retournée, reconstitue les gestes invisibles du tailleur, l’assemblage révèle les coutures, les découpes, les matières. Le métier du tailleur est de déconstruire, de retourner le vêtement afin de lui donner une deuxième vie.
Une série de vidéos met en action des gestes silencieux, projections immatérielles de mains sur le tissu.
L’invisible photographique suppose un usage paradoxal du médium. Il livre des portraits fantômes, sans visage, souvent de dos. Le regard se dérobe, laisse dans l’attente d’un retournement – comme celui qu’appelle la veste retournée.
Afin de donner à voir l’absence et capturer les sentiments, je déploie ces formes d’invisibilité. Jouant ainsi avec le vocabulaire plastique du monde spectral : flou, troubles, effets de transparence ou d’évanescence, j’interroge les images et leur faculté de renaître sous des formes nouvelles. Quelque chose manque à ces images, cette absence a beau être contenue, maintenue en réserve, elle transparaît.
Hélène Benzacar
2020
Où ?
Musée Joseph Denais
Beaufort-en-Vallée
Quand ?
Reporté au mois de juin 2020
Horaires d’ouverture :
ouvert du mercredi au dimanche de 14h30 à 18h.